Édito programmation (2016)

Édito programmation (2016)

Alors que le documentaire de création rejoue en boucle le crépuscule de ses années militantes, n’en finissant plus de pleurer la chute du monde et le déclin des idéaux, les jeunes cinéastes ne s’embarrassent plus de ce genre de chichis et ont déjà sauté la barrière : le monde et son absurdité se regardent bien en face, et les films l’abordent comme une terra incognita.

Ce mode explorateur fait résonner l’édition 2016 d’échos venus du cinéma fantastique : terre de fantômes (Norma’s colours, Bixian) et d’hallucinations (Tata, Echo chamber, The Teenage Tasteless Tourist Tape), le présent dépeint ouvre la voie à un cinéma de l’errance et de la balade, marqué par une mélancolie rêveuse (Lost, Wallenhorst) ou par le spleen solitaire d’une sourde angoisse sociale (Stand, Onder Ons). Ce goût des spectres a contaminé les dispositifs euxmêmes et se traduit par une série de films d’abord captivés par ce qui se joue dans l’invisible (le hors-champ visuel de La Senyora que feia senyors, de La Chasse, ou de Simply a Man ; le hors-champ sonore de Deux portes).

Une année de plus au FIDÉ, c’est aussi l’occasion de découvrir le nouvel épisode d’une saga décennaire : celle du rapport qu’entretient le jeune documentaire aux petites images. Le numérique SD semblait enfin avoir débarrassé le plancher des enjeux de la création étudiante, dossier clos par la transition terminée vers la haute définition ; bien au contraire, l’image sale n’en finit plus de revenir hanter les écoles de cinéma. Dans ces films, l’image de caméscope est devenue une relique de l’ancien monde, à décoder pour trouver la vérité : remontant la filiation et ses tabous (La Détesteuse), l’image VHS et ses scories deviennent les symptômes d’un regard à présent questionné, dont le trouble bientôt contaminera le film (jusqu’à corrompre, dans Un lézard dans la peau, le derme de la réalisatrice). Les cinéastes font de cette corruption un jeu, un outil narratif, prenant un malin plaisir à voir le projet se démantibuler par le sortilège d’un enregistrement : le flux des images de télévision noie le regard dans l’abstraction (War in Peace), le montage devient fou (Construction assault), l’expérience du tournage finit par broyer les personnages (Bixian), quand elle ne les absorbe pas tout entiers (10/05/2012).

Cette création franche et brutale se traduit aussi cette année par une colère inhabituelle, à l’ironie vivifiante. War in Peace, The Best Way ou Alphonsine sont autant de films offensifs qui dessinent les contours d’une figure nouvelle : celle du Crusoé fier et misanthrope, bien décidé à renvoyer le monde extérieur dans les cordes et qu’accompagnent, tout au long de la sélection, des personnages qui, en vivant le monde à leur manière très personnelle (Color of the Sun), flirtent parfois dangereusement avec la figure du fou (La Réalité que j’entends, Non contractuel). La stabilité ennuie et une électricité étrange parcourt les films de cette édition : c’est celle du chaos. L’image d’une jeune femme dansant dans la tempête de ses traumatismes (En gardant l’équilibre) semble se faire l’étendard de toute une génération, enfin capable de nous offrir autre chose qu’un regard en arrière. Le désordre est aussi un terreau ; et les bouffées d’énergie brutales de Wéfo, le comique absurde de The Daily Life of a street, ou l’anarchie de Territory nous rappellent que le Chaos, dans la mythologie, est d’abord l’origine de toute création.

Tom Brauner
Photo : The Teenage Tasteless Tourist Tape