Édito programmation

Édito programmation

La sélection des films documentaires pour le FIDÉ de cette année 2019 n’a pas été sans batailles acharnées entre programmateurs au front ou dans les tranchées. Nous avons tous et toutes dégainé une verve implacable pour défendre ou accabler tel ou tel film selon les convictions fana-tiques ou fanatisées de chacun, avec une mauvaise foi évidente selon ce qui arrangeait ou non nos envies et autres goûts épicés cinéphiles ! Mais ne dévoilons pas les secrets d’état et avouons que la partie fut, au delà du péril rôdant, une expérience commune enrichissante qui nous a délivré, je pense, de l’habituelle solitude de nos retranchements critiques. Des missions périlleuses nous incombaient cependant…

• Le devoir d’aiguiser notre regard en fonction des films qui s’enhardissent à tort pour certains, et au travers de leur sujet, ou qui s’influencent des modes opératoires télévisuels ou internautes (reportage télé, film institutionnel de commande).
• La nécessité de se méfier des sujets « évidents » contribuant à une mode sans vergogne dans la manière de les aborder.
• Les débats incessants sur la difficulté de filmer un sujet polémique ou sur les tendances personnelles (et bien humaines, faut le reconnaître !) de prendre parti au détriment de la neutralité critique…
Bref, le documentaire est un territoire brut à défendre et complexe, s’affranchissant, pour les meilleurs d’entre eux, des scories scolaires identifiables et bien dommageables. Il est toujours plus tentant de défendre le film d’un cancre que celui d’un bon élève. Il y a ce je ne sais quoi de plus intègre et touchant dans le premier que de fourbe ou d’automatique pour le second… Il en va de soi pour le cinéma traditionnel de fiction avec, d’un côté, le cinéma dominant s’essoufflant via ses boursouflures en présence de stéréotypes mercantiles et, de l’autre, les films de série b et le cinéma expérimental dont les risques et la singularité y sont moins fugaces et rares malgré une approche technique souvent économe.

« Le fusain ne permet pas d’être plaisant, il est grave (…). Il est sur la lisière de quelque chose de désagréable, de laid. » (Odilon Redon)

Les films sélectionnés dessinent notre objectif (on l’espère) de représenter, au maximum de sa plénitude, l’éventail formel comme narratif correspondant au mieux à la richesse du cinéma documentaire. Des épreuves excitantes ont stimulé notre entrain ou notre patience : avoir autant de considération pour les films témoins d’une tradition folklorique encore présentes dans certaines de nos sociétés technocratiques (La Nuit des Krampus) que pour les films gestes qui captent/enregistrent des symptômes sociétaux puissants (Nettoyer Schaerbeek, Is it a true story telling ?), ou bien les films chevronnés, à rebours des sujets conventionnels habituels (J’suis pas malheureuse), voire libérés d’une conscience politique attendue pour leur préférer un tournage instinctif et un montage émotif (Filakia apo ti filaki, (A)way,…)

Mais il y a aussi ces films dont le savoir-faire évident soutient des sujets délicats et lourds pour mieux y dégager une problématique politique (et symbolique) toute actuelle (Azadi), ou des récits s’apparentant à des contes (Vaches et Reines, Le Conte de l’âne jaune, L’Enfant né du vent, À cor et à cri, Une autre rive, Béton Boréal), non dénués d’un caractère mythique (Des cœurs perméables, Au pays des oranges tristes, Cuatro y quena), des films documentaires dont le procédé technique de l’animation vient accompagner ou exprimer ce qui est difficilement représentable, comme les affects et autres sentiments malaisés (Super casse-pieds, Choix, Le Papier, Alef b’Tamuz) et des films pratiquant habilement le remploi d’images préexistantes (Insectopedia). Des portraits insolites, déroutants ou amusants ponctuaient nos séances plénières (Falaknaz, VertOlive, Te Merau (Que je meurs), Théodore, Man in the Attic, Nikolaï, Le Château, Bashkimi United). La problématique du deuil fut égale-ment abordée de manière originale et sincère (Je ferai tout disparaître, My Home Video). Un sentiment polémique provoqué par certains films nous interpella avant de céder à la richesse de leur ambiguïté volontaire, liée inextricablement à un sujet fort (After the future, Prisoner of society, Vedette, Trash Rebelle).

N’oublions pas les essais filmiques dont la grossièreté impulsive de l’image renforce la violence de leur sujet parfois (trop) intime et douloureux (Mon journal de ta chimio). Et enfin des films miracles dont le dispositif technique épouse parfaitement des expériences limites (Pain is mine, In Between, Le loup et les sept chevreaux).

Et puis il y a ce je ne sais quoi d’unique dans la plupart de ces films reçus puis sélectionnés… c’est sans doute dans cette notion de « coup d’essai / coup de maître » que l’on ressent et qui ne donnera peut-être jamais suite face à l’engrenage économique et artistique consensuel d’aujourd’hui. Le FIDÉ devient ainsi la forteresse cachée (et précieuse !) remplie des traces, témoignages, documents, et essais des forces vives actuelles dont on partage la passion commune, même éphémère, de retranscrire notre monde en perpétuel mouvement, et tour à tour diffus, confus, chaotique, ou serein, limpide, mais si bigarré.

« Pour qu’un livre [film] sue la vérité, il faut être bourré de son sujet jusque par-dessus les oreilles. Alors la couleur vient tout naturellement, comme un résultat fatal et comme une floraison de l’idée même. » (Gustave Flaubert, lettre adressée à Ernest Feydeau, août 1857)