Édito programmation (2017)

Édito programmation (2017)

Par bien des points, les films que nous avons reçus cette année continuent les tendances initiées par l’édition 2016 : celles d’un jeune cinéma qui ne pense plus le réel avec les outils de ses aînés, trouvant plus de vérité politique dans le tableau semi-fantastique d’un monde abandonné, que dans son analyse au moyen d’interfaces idéologiques ressassées – que le geste cinématographique n’a alors plus qu’à illustrer, pour contenter à peu de frais un public déjà acquis à la cause. Cette manière singulière de prendre prise sur le monde amorce un rapport plus intuitif et ouvert aux problèmes de notre présent. Now : End of Season, au tableau géopolitique de l’héritage d’Assad, préfère ainsi un portrait trouble et évocateur des rapports orient-occident. Tous droits réservés, pour s’emparer des tabous de l’Histoire nationale, va en éprouver les secousses sismiques. Des rêves persistants, qui invisibilise son sujet principal, en retrouve l’horreur dans les manières tendres d’un visage fatigué…

Le monde reste un endroit étrange, souvent vide (le village désert du Marteau, le couteau, et la pierre)  et volontiers déraisonnable, dont le dénominateur commun, le principe même, serait celui du bug. C’est-à-dire un télescopage absurde de lieux (NO’I), de temporalités (la rencontre des siècles égarés dans Tomb of The Diver), d’intimités (Pallasseum), ou de personnes (migrants et touristes confondus, dans Now : End of Season). Un monde-conglomérat qui évoque quelque élément chimique instable, bien difficile à décrypter (la légende diffractée de La langue interdite, le chaos politique de La Voix, le rébus proposé par Monday), et qui appelle cette année encore à la tentation du cocon (Ida Gil, À plus tard, Mère, Aurélia…), sans jamais se montrer aveugle aux limites et pièges d’un tel repli.

Cet univers en ruines, qui fit du précédent FIDÉ une édition particulièrement noire, les films de cette année le peuplent : nous avons été inondés de films mettant en scène des enfants (Mère, Eaux profondes) – et surtout des enfants seuls. La sélection s’en fait ainsi le reflet, regorgeant de portraits d’une jeunesse de débrouille, évoluant bravement dans ce monde dévasté par ses propres moyens. Les adultes sont décédés ou partis (Angelika, Calling you, A Portait of My Late Father), étrangement absents (Fares, Rêche, Every Palsy has its silver lining), ou rejetés en périphérie de films où les enfants font loi (Urban Cowboys). L’enfance survit alors partout, tel un mécanisme de défense : dans les comportements candides à l’optimisme forcené (À plus tard, Octobre Novembre), dans l’irrévérence refusant les responsabilités de son âge (Carrousel, De Shit et d’air pur), ou dans un monde tout entier arrêté au décor d’une passion juvénile (Au rythme de l’escargot). Dans ce réflexe d’évacuer l’adulte en des segments étanches du film, voire de l’en dégager complètement, on ne peut s’empêcher de lire l’autoportrait de ces jeunes cinéastes qui arrivent sur un nouveau terrain de jeu, et qui doivent s’y débrouiller avec leurs propres règles – et leurs propres appareils.

Car là encore, la continuité avec nos éditions passées est frappante. L’image VHS continue ainsi de trimbaler avec elle ce parfum de relique maudite (un vrai film d’horreur parasitaire, dans The Rate’s Cut), ou tout du moins d’un matériel domestique qui aurait muté (le happening biblique déboulant, l’air de rien, au milieu de la petite vidéo familiale dans Le jour des poissons). Mais c’est plus généralement l’idée d’une contamination qui prime dans les films, parfois de manière explicitement poétique (Observation de faucons dans le ciel) et plus souvent, semble-t-il, à leur corps défendant. Le téléphone portable, et ce qu’il transforme des relations humaines, a envahi les échanges (Xi Xi), avec parfois tant de naturel et d’omniscience que les questions de narcissisme et d’auto-mise en scène que l’objet trimballe avec lui s’en retrouvent désamorcées (À plus tard). Plus profondément, la forme même des films tend à se caler sur celle de ces objets, depuis la narration en micro-vidéos de portables (Rêche), jusqu’au lyrisme hybride et délicieusement étrange d’Automne. L’émotion y oscille entre la noblesse macabre d’une citation poétique et les formes sucrées d’une déclaration d’amour youtube : exemple parfait d’un cinéma qui pose moins un regard réflexif sur les mutations de l’image qu’elle ne s’en laisse envahir, s’engageant dans une voie de cinéma au futur mystérieux.

Tom Brauner
Photo : Des rêves persistants